VIENNE BAROQUE

LA MORTE VINTA

Oratorio de Marc’Antonio ZIANI (Venise 1653 – Vienne 1715 )

20h30 | CONCERT DU SOIR
« Vous avez dit baroque ? »

>EN QUELQUES MOTS
« La Mort vaincue sur le calvaire », est un oratorio chanté au Très Saint Sépulcre de la Cesarea Capella du très auguste empereur Joseph Ier, le soir du vendredi Saint de L’année 1706. Mis en musique par le Signor Marc’Antonio Ziani, vice-maître de chapelle de S.M.C. Vienne, Autriche.
Ce genre musical, typiquement viennois, extrêmement expressif, revêt un caractère sacré tout en rappelant très fortement l’opéra tant dans ses élans musicaux que dans la transcription des passions humaines. Il faut souligner ici l’écriture musicale très aboutie de Marc Antonio Ziani : une richesse harmonique assez incroyable, un contrepoint remarquable et complexe, le tout au service d’une expressivité dramatique portée à son paroxysme. C’est l’une des grandes forces de cette œuvre, et c’est donc une redécouverte exceptionnelle que nous vous proposons ici.
À faire découvrir au plus grand nombre ! (Pour en savoir plus : voir fin de page)

>PROGRAMME
Marc’Antonio Ziani ( Venise 1653 – Vienne 1715)
Oratorio La Morte vinta

BIOGRAPHIES

Ensemble vocal et instrumental consacré principalement à la restitution des musiques anciennes, Les Traversées Baroques sont nées en 2008. Judith Pacquier (direction artistique) et Etienne Meyer (direction musicale), fondateurs de l’ensemble, réunissent autour d’eux des musiciens d’horizons différents pour redonner vie à des répertoires méconnus venant d’Italie, de Pologne, de République tchèque ou encore d’Allemagne.
Claudio Monteverdi bien sûr mais également J. J. Fux, H. Schütz, A. Michna, M. Mielczewscki, G. Gabrieli, G. da Palestrina et encore bien d’autres. Ces programmes sont diffusés dans les festivals à l’échelle nationale et internationale mais également à l’opéra de Dijon.
C’est également une volonté forte de formation des musiciens et du public de demain qui pousse Etienne Meyer et Judith Pacquier à proposer des masterclass, formations, conférences et ateliers autour du répertoire du début du 17e siècle.

LES INTERPRÈTES

Etienne Meyer, Direction
Yannis François, barytonLe Démon
Vincent Bouchot, ténor L’ Âme d’ Adam
Capucine Keller, sopranoLa Nature Humaine
Dagmar Saskova, mezzoLa Foi
Maximiliano Baños contre ténorLa Mort
Judith Pacquier, Cornets à bouquin
Liselotte Emery, Cornets à bouquin
Claire Mc Intyre, Trombone
Ronald Martin-Alonso, Viole de gambe
Christine Plubeau, Viole de gambe
Elodie Peudepièce, Violone
Jasmine Eudeline, Violon
Clémence Schaming, Violon
Etienne mangot, Violoncelle
Monika Fischalek, Basson
Matthias Spaeter, Théorbe
Laurent Stewart, Orgue

>>> site internet des Traversées Baroques

Etienne Meyer • Note d’intention

Etienne Meyer, comment avez-vous choisi ce nouveau programme ? 

Avec Les Traversées Baroques, nous travaillons depuis plusieurs années à la redécouverte de répertoires peu connus, enfouis dans les bibliothèques. Pour exemple, l’oratorio Il trionfo della Morte de Bonaventura Aliotti, enregistré en 2019 et donné en concerts de nombreuses fois, ou encore les splendides madrigaux à 5 voix de Domenico Mazzocchi, créés et enregistrés en 2021. Je connaissais depuis longtemps la richesse des catalogues de la bibliothèque de Vienne. Ces archives contiennent de véritables trésors musicaux, parmi lesquels de nombreuses œuvres écrites par des compositeurs de culture italienne ayant vécu et travaillé à Vienne. Cette ville devient, au tournant des 17è et 18è siècles, un centre musical important, et connait un véritable bouillonnement culturel de création, qui sera d’ailleurs le point de départ d’une fantastique lignée de musiciens célèbres, jusqu’à Mozart ou encore Schönberg… La période dont nous parlons – fin 17è, début 18è siècle – est encore largement méconnue, alors même que c’est un patrimoine musical unique et d’une très grande importance, qui mérite vraiment d’être présenté au grand public. J’ai donc exploré ces catalogues, parcouru les manuscrits et lu beaucoup de musique, avant de jeter notre dévolu sur ce sepolcro, La morte vinta sul calvario de Marc Antonio Ziani. 

Quelle est l’originalité de cette partition, pourquoi avoir retenue celle-ci en particulier ? 

C’est le genre très original du sepolcro qui m’a tout d’abord attiré : ce genre musical typiquement viennois, extrêmement expressif, revêt un caractère sacré, tout en rappelant très fortement l’opéra tant dans ses élans musicaux que dans la transcription des passions humaines. Il faut souligner ici l’écriture musicale très aboutie de Marc Antonio Ziani : une richesse harmonique assez incroyable, un contrepoint remarquable et complexe, le tout au service d’une expressivité dramatique portée à son paroxysme. La construction même de l’œuvre est remarquable. Elle consiste en une alternance d’aria da capo – concis, efficaces et directs – et de récitatifs courts et vivants. Ziani précise également toutes les instrumentations qui vont venir caractériser chacun des personnages, et mettre en couleur chaque passage musical avec une intention bien précise. C’est l’une des grandes forces de cette œuvre, et c’est donc une redécouverte exceptionnelle que nous vous proposons ici. À faire découvrir au plus grand nombre ! 

Pouvez-vous nous parler du contexte dans lequel cette œuvre a été écrite, et quel en est le thème ?  

Le titre précis en est « La Mort vaincue sur le calvaire », c’est donc un oratorio chanté au Très Saint Sépulcre de la Cesarea Capella du très auguste empereur Joseph Ier, le soir du vendredi Saint de L’année 1706. Mis en musique par le Signor Marc’Antonio Ziani, vice-maître de chapelle de S.M.C. Vienne, Autriche.

Ce sepolcro, un joyau du genre, représenté à la Hofkapelle de Vienne le soir du Vendredi Saint 1706 sous le règne de Joseph 1er, décrit la joute oratoire qui oppose le Démon, à l’origine du péché originel et qui se réjouit de la mort du Christ, et la Mort elle-même, qui s’approprie à son tour l’origine de la mort du rédempteur qui se vantait, nous dit l’argument de l’oratorio, « la vie même ». Entretemps, au beau milieu de cette dispute rhétorique, intervient l’allégorie de la Nature Humaine qui pleure amèrement la mort de son Sauveur, mais est à son tour injurié et menacé par le Démon pour ne pas avoir été racheté de ses péchés. C’est alors qu’intervient la Foi qui parvient à confondre la maligne fausseté du Démon qui continue à ne pas croire à la valeur de la rédemption. L’aporie du débat semble trouver une issue avec l’intervention de l’Âme d’Adam qui, comme Père de tous les hommes, console la Nature Humaine de ses tourments, en lui disant qu’il avait été extrait par le Christ Rédempteur avec tous les hommes justes, du cœur d’Adam où non seulement s’était niché l’âme du Christ pour pouvoir en libérer tant d’autres, mais qu’il s’était en outre montré aux portes de l’Enfer même pour confondre les Démons et les Damnés grâce à la pompe de son triomphe, et qu’ainsi, à la fin, au bout de trois jours, le Christ serait ressuscité, comme il l’avait promis, afin de prouver au monde que par lui la Mort serait vaincue sur le Calvaire. 

On le voit, il s’agit d’une œuvre purement allégorique, comme cela était le cas dans la plupart des sepolcri représentés à Vienne. Structuré en deux parties, l’œuvre alterne des récitatifs très expressifs et des airs qui ne le sont pas moins. La dimension théâtrale et dramaturgique, amplifiée par la scénographie propre au genre, est assurée aussi bien par le texte d’une grande force poétique de Bernardoni, que par la musique splendide de Ziani, avec une orchestration essentiellement à cordes à cinq parties, dans l’ouverture en particulier, agrémentée de parties instrumentales obligées et une science raffinée du contrepoint, tandis que les airs sont, pour certaines interventions comme celles du Démon, accompagnées par les cornets, les trombones et les bassons. Le Démon, une basse caverneuse comme il se doit, chante trois airs, marqués par une véhémence « furiosa » (dès son superbe air d’entrée « Ho già vinto », véhémence amplifiée par les soli de trombone) et un duo avec la Mort (« Vil che sei non creder già »), à qui échoit l’air « Chi sul detto il Fior del campo », un irrésistible andante bercé par l’ensemble des violes à quatre parties. La fragilité de la Nature Humaine est illustrée par l’émouvant Largo, soutenu par la simple basse, « Misera Umanità » d’une expressivité à faire pleurer les pierres, interrompu par un bref récitatif, traité en arioso qui maintient la tension pathétique induite par le texte même, avant de reprendre un nouveau Largo, « Duro cor », cette fois-ci accompagné par l’ensemble des cordes (violes et violoncelles), dans un rythme ternaire aux notes longuement tenues qui rendent encore plus émouvante l’intervention du personnage allégorique écrasé par un sentiment de culpabilité. Une brève joute oratoire de vive allure oppose de nouveau la Mort et le Démon débouchant sur un duo dans une tonalité logiquement tout aussi rapide, soutenu par les bassons qui donnent une coloration commune au contraste des voix. Les beautés abondent dans ce sepolcro relativement bref, comme l’autre aria de la Nature Humaine, « Quel dolor ch’io porto in volto », avec violon solo, ou encore le Largo de la Foi, « Indarno la meta », qui parvient à atteindre un dépouillement dramatique d’une rare intensité. Les airs virtuoses ne sont pas en reste, comme celui du Démon, « Or lusinghiero, or fiero », au style concitato soutenu par un effectif opulent (violons, cornets, violes, trombones et bassons), contrastant avec l’adagio langoureux de la Nature Humaine, « Io languia, qual fior senz’onda ». Un sublime chœur réunissant tous les solistes conclut adagio ce singulier sepolcro, illustrant avec maestria la science du contrepoint du compositeur qui a su allier la rhétorique du texte avec celle du discours musical, rappelant ainsi que, sans trahir l’intelligibilité de la parole poétique, essentielle dans ces œuvres de dévotion, la musique sait aussi être éloquente.

Qu’est-ce qu’un « sepolcro » ? 

La Morte vinta sul Calvario de Marc’Antonio Ziani appartient au genre typiquement viennois du sepolcro. Ce genre se distingue de l’oratorio par sa thématique presqu’exclusivement allégorique, centrée sur la Passion et la Crucifixion du Christ (même si on peut trouver, ailleurs, des oratorios allégoriques, comme La Morte delusa de Bassani, Ferrare, 1696), et par un effectif orchestral plus développé que pour l’oratorio qui était fondé surtout sur quelques instruments à corde et la basse continue. Une autre caractéristique essentielle est que le sepolcro était habituellement représenté avec décors et costumes (on ne parlait pas encore à l’époque de mise en scène) ; le décor le plus communément reproduit était justement le saint sépulcre qui a fini par donner son nom au genre. Il était généralement interprété le Vendredi Saint et faisait pleinement partie de la fonction liturgique alors que les oratorios, en particulier en Italie, avaient gagné une certaine autonomie. Comme pour les oratorios, les sepolcri étaient toujours représentés en italien (c’était aussi le cas pour l’opéra, toujours en italien à Vienne jusqu’à l’arrivée de Mozart, avec quelques rares exceptions comme El Prometeo de Draghi chanté en espagnol). On trouve cependant quelques cas notables qui s’éloignent de cette exclusivité linguistique, avec au moins un sepolcro en latin (Natura et quatuor elementa dolentia ad sepulcrum Christi, un livret anonyme adapté par Cesti) et au moins deux en allemand (Die Erlösung des menschlichen Geschlechts de 1679 et Sieg des Leidens Christi über die Sinnligkeit de 1682). Le public recevait un exemplaire du livret en italien sans qu’il soit accompagné d’une traduction en allemand (la pratique de l’exemplaire bilingue, comme pour l’opéra, se généralisera dans les premières décennies du XVIIIe siècle). Le développement de ce théâtre sacré, fondé davantage sur le principe rhétorique de la disputatio que sur la dynamique des péripéties, doit beaucoup à l’impulsion des Jésuites qui voyaient dans le théâtre chanté, alors même qu’ils vitupéraient contre le jeu diabolique des acteurs, un formidable outil de propagande contre-réformiste, secondés par la politique très coercitive des souverains Habsbourg. Parmi les compositeurs surtout italiens actifs à la cour viennoise, Antonio Draghi a été l’un des plus prolifiques fournisseurs de sepolcri, une vingtaine, en collaboration notamment avec Nicolò Minato. On lui doit par exemple Il terremoto (1682), L’Eternità soggetta al tempo (1683), Il dono della vita eterna (1686), La Virtù della Croce (1687). D’autres compositeurs se sont également illustrés dans ce genre et dans celui de l’oratorio, comme Antonio Bertali (Maria Maddalena, 1663), l’empereur Léopold 1er lui-même, compositeur du premier oratorio viennois (Il sacrifico d’Abramo, 1660), Pietro Antonio Cesti, Giovanni Battista Bononcini, ou encore Marc’Antonio Ziani, neveu du plus célèbre Pietro Antonio, transfuge de la Cité des Doges.

Que sait-on de Marc’Antonio Ziani ? 

Né vers 1653 à Venise, Marc’Antonio Ziani étudia probablement la musique et l’opéra avec son oncle, avant de devenir chantre à la chapelle Saint-Marc. À la mort de Francesco Cavalli, il postula sans succès à sa succession comme premier organiste. Quelques années plus tard, il fut nommé maître de chapelle à la cour de Mantoue par le duc Ferdinando Carlo Gonzaga, fonction qu’il exercera de 1686 à 1691. Avant cela, il eut l’occasion de faire représenter à Venise plusieurs opéras, en particulier Alessandro Magno in Sidone, sur un livret de Aurelio Aureli, donné au théâtre Grimani San Giovanni e Paolo en 1679. Son premier opéra fut aussi l’un de ses plus grands succès, repris l’année suivante à Milan et à Vérone, puis à Vicence en 1681 et à Padoue en 1706. Plus d’une quarantaine d’opéras suivirent aussi bien à Venise qu’à Vienne, dont Alcibiade (1680), La ninfa bizzarra (1697) ou encore Damira placata (1680), le seul opéra du XVIIe siècle pour marionnettes dont on a conservé la musique, mais la plupart de ses partitions d’opéras est hélas perdue. C’est en 1700 qu’il fut appelé à la cour de Vienne où il fut nommé vice-maître de chapelle. Il devint maître de chapelle en 1713, assisté de Johann Josef Fux comme vice-maître de chapelle, et de Francesco Bartolomeo Conti comme compositeur officiel de la cour. Pour Vienne, il composa des opéras (Il Gordiano Pio, Andromeda, Atenaide, La Flora, ou encore Il Temistocle), ainsi que de nombreuses messes, motets et requiem, et, pour les célébrations annuelles du Vendredi Saint, un certain nombre d’oratorios et de sepolcri, une quinzaine, qui s’inscrivent à la fois dans le sillon de son oncle, également actif à la cour de Vienne (comme en témoignent son splendide Assalone punito de 1667 ou ses autres sepolcri Le lagrime della Vergine nel Sepolcro di Cristo ou encore L’onore trionfante) et dans la tradition liturgique viennoise, initiée, on l’a dit, par les souverains Habsbourg. On retiendra notamment Il giudizio di Salomone, 1701 ; La tempesta de’ dolori, 1703 ; Il mistico Giobe, 1704 ; Le due passioni, una di Cristo nel corpo, l’altra della Vergine Madre nell’anima, 1705 ; La passione nell’orto, 1708 ou encore La sapienza umana, 1710), la plupart sur des livrets de Pietro Antonio Bernardoni, auteur du livret de La Morte vinta sul calvario. Il mourut à Vienne le 12 janvier 1715. Venise célébra sa mémoire dans l’église de San Salvador, cérémonie à laquelle participa entre autres le célèbre castrat Francesco Bernardi, dit il Senesino, chanteur favori de Haendel.

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